Ces dernières années, l’historiographie fribourgeoise a pu se réjouir de la publication de plusieurs recueils de sources: en 2016 le plus ancien registre de notaire conservé aux Archives de l’État de Fribourg,1 en 2018 le copie-lettres d’un patricien du XVIIIe siècle2 et aujourd’hui la correspondance du chanoine Charles-Aloyse Fontaine. D’approches et de factures différentes, ces efforts documentaires encouragent à faire de Fribourg un cas d’étude pour les problématiques qui occupent actuellement les historiens médiévistes et modernistes.

Dans son imposant volume, Damien Savoy nous livre une partie des sources qui sont à la base d’une recherche doctorale menée à l’Université de Lausanne. En introduction, il retrace lucidement l’historique des papiers du chanoine Fontaine, entre destruction par l’ecclésiastique lui-même, censure par ses héritiers et différents legs. Les efforts du chercheur lui ont toutefois permis d’éditer – selon les standards philologiques actuels – 127 documents rédigés par Fontaine et 33 qui lui ont été adressés. L’annotation est riche, très érudite, renvoyant tant à des documents de première main qu’à une vaste bibliographie, et en rien ternie par quelques détails de traduction latine (ainsi celle de 1Cor 9,22 à la page 218). Enfin, d’utiles annexes thématiques et bibliographiques complètent cette édition, qu’illustrent différentes reproductions de document, de portrait de Fontaine, mais aussi des tableaux qu’il a ou aurait lui-même possédés.

Les sources relatives au chanoine Fontaine montrent un personnage hors du commun, tant ses activités ont été nombreuses et ses intérêts variés. Ce sont ainsi non seulement des projets de réformes ecclésiales et pédagogiques qui l’habitaient, mais aussi économiques (voir la lettre 96 au ministre F. B. Meyer von Schauensee sur l’entretien des routes et le droit foncier), à côté de travaux historiques et naturalistes inscrits dans des réseaux que le chanoine soignait (voir par exemple sa lettre 80 à I. H. von Wessenberg, où Fontaine se recommande au théologien J. M. Sailer) et qu’il reste à cartographier avec précision. Mais bien plus, les documents mis à disposition par Damien Savoy offrent une porte d’entrée de choix pour l’intelligence de la société fribourgeoise – et de là pas seulement – des tournants du XVIIIe et XIXe siècle. Ainsi, à travers les arguties que Fontaine déployait pour défendre les privilèges du Chapitre collégial, ce sont des continuités juridiques qui se dévoilent, tissées à l’aide de documents pluriséculaires, de l’Ancien Régime aux décennies postrévolutionnaires (lettres 38 et 39). Des échanges et travaux du chanoine apparaît un clergé fribourgeois divisé devant les événements politiques: entre des enthousiasmes contraires, les sources laissent voir des positions plus nuancées, parfois hésitantes. C’est aussi le cas devant des oeuvres contemporaines controversées, comme celle de Kant, dont la réception par un clergé éloigné des grands centres intellectuels pourra être éclairée par ce travail d’édition (voir en particulier la lettre 78 au prêtre bullois J.-J. Gremaud).

Damien Savoy distribue les documents en six chapitres thématiques («L’homme et sa famille», «Le chanoine de St-Nicolas», «Le théologien et l’homme d’Église», «Le partisan de la Révolution helvétique», «L’administrateur scolaire et le promoteur de réformes éducatives», «L’érudit et le collectionneur»), ce qui constitue déjà un geste historiographique, qu’il détaille en partie dans de brèves introductions à chacune de ces sections. Or, il y est souvent question de «Lumières», d’«éclairés», d’«Aufklärung» pour désigner Fontaine et ses affiliés. Si ce lexique est maintenant commun à l’historiographie du catholicisme du XVIIIe siècle, il est aussi celui que Fontaine et ses contemporains ont utilisé pour désigner leur propre action, et les sources présentées ici l’attestent (voir par exemple les lettres de P.-A. Stapfer). Le risque n’est-il alors pas que de ceux qui n’ont pas suivi la même ligne dite «éclairée», une reprise inconsciente par l’analyse des catégories contemporaines fasse un agrégat «obscurantistes» sans chercher à mieux comprendre des raisons sans doute variées qui leurs étaient propres? L’utilisation maladroite, en tête de l’«Introduction générale», du concept, depuis plusieurs années condamné par l’historiographie spécialisée, d’«ultramontanisme» pour désigner Fribourg prouve en tous les cas la dangerosité de l’écueil.3 Le matériau documentaire que le patient et rigoureux travail de l’éditeur a mis à jour a donc toute la difficulté de sa richesse. Les contextualisations fines et les problématisations au-delà des schémas anciens qu’il exige font de la thèse de Damien Savoy un opus attendu avec impatience.

Anmekrung:
1 Les sources du droit suisse, IXe partie: Les sources du droit du canton de Fribourg. Le droit des villes. Registre de notaires et formulaires notariaux, Registrum Lombardorum. Le premier registre notarial des Archives de l’Etat de Fribourg (1356–1359), Tome 7: Enquêtes par Lionel Dorthe et Kathrin Utz Tremp, Basel 2016.
2 François Pierre de Reynold, Rita Binz-Wohlhauser, Simone de Reyff, Alexandre Dafflon, Walter Haas (éds), «Auprès de mon écritoire». Le copie-lettres (1732–1754), Neuchâtel 2018.
3 Voir en premier lieu Philippe Boutry, Ultramontanisme, in P. Levillain (dir.), Dictionnaire historique de la papauté, Paris 1994, p. 1651–1653.

Zitierweise:
Aeby, David: Rezension zu: Savoy, Damien: Église, sciences et révolutions. La correspondance du chanoine Charles-Aloyse Fontaine (1754–1834), Fribourg 2019. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 71 (3), 2021, S. 518-519. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00093>.